Un grain de folie
- gobbepsy
- 23 mai 2024
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Ce tondo de Jérôme Bosch, « La Cure de Folie » [1] (vers 1480 - 1485) montre la manière dont on considérait la folie en Europe au XVe siècle : « Avoir une pierre dans la tête », selon l’expression néerlandaise.
Fou ? Pas fou ? Ou tous fous ?
La question, on se la pose, quand on met les pieds chez l'analyste : Suis-je fou ? « Ne devient pas fou qui veut », disait Lacan, quelque part [2] !
Canguilhem, dans un ouvrage qui fit référence [3], rappelait qu'un individu sans maladie, ce n'est pas normal. La pathologie n'est donc pas pathologique. Jusqu'à un certain point, certainement. Mais il soulignait ainsi que la frontière entre normal et pathologique est loin d’être une évidence : chez un individu normal, il y a de fait une dose de pathologie !
Pour le sociologue américain Erving Goffman, la normalité était performative : nous jouons les « pas fous », en quelque sorte : « chaque fois que nous entrons en contact avec autrui, que ce soit par la poste, au téléphone, en lui parlant en face à face, voire en vertu de la simple coprésence, nous nous trouvons avec une obligation cruciale : rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte tenu des événements tels que l'autre va sûrement les percevoir. Quoi qu'il en soit par ailleurs, nos actes doivent prendre en compte l'esprit d'autrui, c'est-à-dire sa capacité à lire dans nos mots, dans nos gestes les signes de nos sentiments, de nos pensées et de nos intentions.» [4]
Pour autant, son collègue Howard Becker rappelait que les fous, on n'en veut pas et s'il n'y a pas d'asile pour les accueillir, ils sont promis à la rue et à l'isolement [5]. Le grand psychiatre et psychanalyste ne disait rien d'autre quand il considérait que c'était une folie que de croire que la folie n'existe pas [6]. D’ailleurs, précisait-il, quelqu’un qui ne serait pas un peu fou, « c’est louche !»
Toute la question est de savoir quelle place on donne à la folie dans une société.
Et la psychanalyse, dans tout cela ?
Eh bien justement, c’est peut-être cela qu’elle propose : explorer notre part de folie, qui nous donne l’impression, parfois, d’avoir une pierre dans la tête, mais qui fait de nous des individus normaux… pour autant qu’on puisse l’être.
[1] Je tire cette image de l’édition illustrée de L’éloge de la folie d’Érasme : Érasme, C. Blum et Y. Pinson, Éloge de la folie illustré par les peintres de la Renaissance du Nord, Paris, Diane de Selliers éditeur, 2018.
[2] J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 151‑193.
[3] G. Canguilhem, Le normal et le pathologique (1966), 12e éd., Paris, PUF, 2013.
[4] E. Goffman, « La condition de félicité - 2 », Actes de la recherche en sciences sociales, 1986, 65, 1, p.97.
[5] H.S. Becker, Les ficelles du métier (1998), Paris, La Découverte, 2002, p.73 et suiv.