top of page

Oedipe... Vous avez dit le deep ?

  • gobbepsy
  • il y a 7 jours
  • 5 min de lecture

On a souvent une vision caricaturale de la psychanalyse qui, avec « son » complexe d’Œdipe, se cantonnerait à montrer aux garçons qu’ils souffrent parce qu’ils voulaient épouser leur maman et que leur père les en a empêchés et, aux filles, qu’elles étaient amoureuses de leur papa mais que leur maman venait s’opposer à cette concurrence déloyale.

Bon… mais après ?

S’il y a peut-être un peu de vrai là-dedans, réduire la psychanalyse à ça est bien réducteur. L’Œdipe n’est qu’un mythe, une parabole qu’il faut se garder de transposer littéralement, un « rêve de Freud » disait Lacan [1], bien plus fin que les discours communs sur la psychanalyse.

Parmi ceux-ci, un prétendu conservatisme de la psychanalyse sur les questions de genre ou de famille. On confond sur ce point les psychanalystes et la psychanalyse. Au moins celle-ci a-t-elle eu l’intérêt de poser des questions là où la société les verrouillait : qu’en est-il du désir ? qu’en est-il de la sexualité ? et qu’en est-il de l’amour qu’un garçon porte à son père et une fille à sa mère ?


« En 1925, comme il l’avait déjà dit plus tôt (1905), [Freud] relie la bisexualité à l’homosexualité : “Les racines de l’homosexualité se trouvent dans la bisexualité constitutive de tous les êtres humains.” (1925) L’homosexualité se développe mais la bisexualité, dans toute son ambigüité, en est le fondement. Dès les lettres à Fliess et jusqu’à L’Analyse avec fin et l’analyse sans fin (1937), la question de la bisexualité ressurgit et l’accent est mis sur ses manifestations psychologiques ou physiques, et habituellement les deux à la fois mais d’une manière implicite. » [2] 

 

Eh oui, le petit garçon aime aussi son papa et la petite fille sa maman… ce qui complique bien l’affaire !

 

Un demi-siècle plus tard, Lacan, contemporain de Simone de Beauvoir, franchit un pas supplémentaire. Dans la première leçon du Séminaire XIX que Jacques-Alain Miller, dans sa retranscription, a baptisée « La petite différence », Lacan déclare que la différence des sexes est à peine visible entre deux enfants : « On les distingue, ce n’est pas eux qui se distinguent. » Et c’est le discours des parents qui les distingue : « Inutile d’ajouter que la petite différence – hourra – était déjà là pour les parents depuis une paye, et qu’elle a déjà pu avoir des effets sur la façon dont ont été traités petit bonhomme et petite bonne femme. » [3]

Bref, rien n’est plus faux que de réduire la psychanalyse – et l’Œdipe – à tuer papa, coucher avec maman, maman doit être douce, papa doit être fort, etc. Alors quel est l’intérêt de cette histoire ?

 

Jean Oury, qui fut psychiatre et psychanalyste, propose, une lecture plus amusée et joyeuse de l’Œdipe, mais aussi plus éclairante !

« On sait très bien qu’en fin de compte, c’est un innocent, Œdipe, un brave type. Il arrive à la porte de Thèbes, et il y a une espèce d’abruti qui passe avec un chariot, qui va l’écraser... Alors il lui saute dessus, et il le tue. Bon, ça déblaie la route... Et puis il arrive dans Thèbes, et il fait ce qu’il faut pour le “bien” comme ils disaient à l’époque, pour le “service des biens”, dit Lacan. C’est vrai, la meilleure façon de travailler au service des biens, c’est d’avoir le pouvoir ! Il ne va pas être médecin chef de Thèbes, mais, enfin, il va être le roi.

Donc, il se marie avec Jocaste. Un roi, pour qu’il représente bien, doit avoir une reine et des enfants. C’est la norme. Donc, il fait tout ça, et tout va très bien. En son âme et conscience, il n’a rien à se reprocher. […] Il aime bien Jocaste – c’est une brave bonne femme – et ses enfants, Étéocle, Polynice, Ismène et Antigone. Et alors, je ne sais plus comment ça lui passe par la tête, cette idée, mais il se sent obligé d’aller interroger cette espèce d’imbécile de voyant – la cartomancienne du coin –, Tirésias. Et l’autre, il sait tout, bien sûr, mais il dit : “Mais non, ça va bien, Œdipe, c’est pas la peine... il fait beau !” Mais Œdipe, ce pauvre couillon, il insiste ! […]

Tirésias, quand même un peu salaud, lui dit : “Tu as tué ton père, tu as couché avec ta mère...” Œdipe n’en revient pas, il ne savait pas ; d’une naïveté incroyable, ce type ! Ça le choque tellement qu’il s’arrache les yeux et les fout par terre ; il s’aveugle. Et c’est là que “ça commence”. C’est seulement là que va se poser la question du désir, dit Lacan. Jusque-là, il était au service des biens, tout à fait dans la norme, occidentale, actuelle : tu fais ton travail, tu rentres le soir, tu ne racontes pas trop à ta femme ce que tu as fait dans ta journée pour ne pas l’emmerder, tu dis “Bonsoir, mes petits”, et le lendemain tu recommences. Il était très bien, Œdipe, un bon citoyen...

Donc, il s’aveugle, et c’est à ce moment-là, comme on dit, qu’il devient voyant, comme un psychothérapeute devrait l’être ; il s’agit non pas de voir en l’autre (c’est un piège, de voir en l’autre), mais de voir en soi ; voir, pas forcément au sens de savoir.

[…] N’empêche qu’il s’en va avec Antigone. Il fait du camping, il part sur les routes avec elle – c’était sa préférée – quand même... Depuis le temps qu’il attendait ça ! Adieu Jocaste, je pars avec Antigone ! Mais tout ça jusqu’à un certain point. Arrivé dans l’autre pays, à Colone, il dit à Antigone : “Eh bien, ma petite, ce coup-ci, basta, adieu […], reste là, tu ne peux plus continuer avec moi.”

C’est là que le désir prend son relief, parce que le chemin qu’il va faire après, il ne peut le faire que dans la solitude absolue – là, il n’y a plus d’Antigone qui tienne –, dans la solitude absolue, jusqu’à l’énigme ; il rencontre, au bout du chemin – si on peut dire – Thésée – encore un drôle de type –, avant d’entrer dans le métro (je veux dire descendre dans l’Hadès). […]

C’est ce “lieu”, entre l’adieu à Antigone et la rencontre avec Thésée, que Lacan a appelé “l’entre-deux-morts” ; l’adieu à Antigone, c’est la première mort, et la rencontre avec Thésée, c’est la seconde mort. Entre les deux temps, le cheminement dans la solitude, dans l’entre-deux-morts. Le désir, ça ne commence vraiment qu’après l’aveuglement, en ce point de “voyance”, là où il va son chemin, comme on le dit : “Bon pied, bon œil !”

Le chemin du désir, ça devient manifeste au moment où personne ne peut plus le voir, dans la solitude absolue.

Une analyse, ça devrait pouvoir tracer un chemin avec des sortes de “plongées” au niveau de cette zone de solitude de l’entre-deux-morts. Si cette zone de solitude n’est pas explorée (si on peut dire “explorée”) par l’analyse, Lacan le dit, il n’y aura pas eu d’analyse. »[4]

 

Oury propose donc une autre perspective de l’Œdipe : explorer sa propre solitude, plutôt que de

la fuir ou de refuser de la voir. Œdipe a commis l’innommable et quand il en prend la mesure, il s’aveugle. Combien sont celles et ceux qui, rongés de culpabilité, vivent dans un impossible à voir… jusqu’à explorer et tenter de voir ce qui les anime, leur énigme, avec un autre regard. Œdipe est donc celui qui, face à l’insupportable à voir, fait le pari d’explorer sa cause. Et si c’était ça, « résoudre l’Œdipe » ? Une autre lecture, combien plus stimulante et réjouissante de ce que peut être un travail analytique. Non ?


[1] Lacan Jacques, Séminaire XVII : L’envers de la psychanalyse, Paris : Seuil, 1991 [1969–1970].

[2] Flanders Sara et alii, « À propos de l’homosexualité : ce que Freud a dit », L’Année psychanalytique internationale, vol. 2017, no 1, 2017, p. 126‑127. Pour plus de précision sur les citations, voir l’article : https://shs.cairn.info/revue-l-annee-psychanalytique-internationale-2017-1-page-123?lang=fr#s1n2

[3] Lacan Jacques, Séminaire XIX : ...ou pire, Paris : Seuil, 2011 [1971–1972], p. 16.

[4] Oury Jean et Depussé Marie, À quelle heure passe le train... Conversations sur la folie, Paris : Calmann-Lévy, 2003, p. 177‑180.

 
 

09 77 85 86 17 - 06 43 17 93 74 

Christophe Gobbé

Cabinet de psychanalyse

84 boulevard François Mitterrand

63000 CLERMONT FERRAND

©2020 par Gobbé.psy. Créé avec Wix.com

bottom of page