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De l’impossible à l’un-possible

  • gobbepsy
  • 30 oct. 2023
  • 3 min de lecture

Que nous disent les objets d’art ?

Ce sont, comme disait Pierre Bourdieu, des biens symboliques qui ordonnent le monde, pour le pire lorsqu’ils sont utilisés à des fins de distinction et de séparation sociale, mais aussi pour le meilleur. Ils mettent en ordre le monde, le rendent hétérogène : en cela, ils portent une histoire qui éveille quelque chose en nous et dont on sent qu’il y a, là, quelque chose de précieux. Ça donne le la. Par conséquent, ils nous permettent de saisir une part d’intime qu’ils portent et qui nous renvoie à ce qui nous est personnellement et collectivement précieux.

Ces objets d’art sont parfois des objets paradoxaux, notamment lorsque l’artiste a puisé au fond de lui-même une ressource insoupçonnable pour la sublimer en un objet d’art. Telle est l’histoire de quelques objets qui m’ont été offerts et dont je partage la vue au sein de mon cabinet.

Ils ont tous une histoire.


Le premier, une petite sculpture d’un peintre qui s’appelait François Tortosa. Ancien bandit international, il passa un quart de siècle en prison, dont une bonne partie dans les quartiers d’isolement, les fameux QHS. Passionné d’art, il réclame, lors de son incarcération, des toiles et de la peinture, persuadé de trouver ainsi un moyen pour se faire la belle. Il tombe alors sur un directeur de prison extraordinaire – c’est Tortosa qui lui-même le disait – qui répond à sa demande: vous aurez tout ce que vous voulez, s’il faut que j’aille exposer vos toiles, je le ferai, mais vous resterez à l’isolement.

Devant l’impossible, Tortosa se mit à peindre, faisant de sa peine un objet de valeur, un bien symbolique.

C’est 35 ans plus tard que je fis la rencontre de Tortosa, dans des circonstances difficiles : je venais de perdre un être qui m’était cher et qu’il connaissait. Verrouillant ma peine et mes larmes, l’ex-truand, qui était devenu un vieil homme, me prit dans ses bras. Des bras d’une douceur extrême. Après les obsèques, eut lieu une fête en la mémoire de la personne disparue. François raconta son histoire : la prison, je voulais en sortir avec le corps, il a fallu que j’en sorte avec la tête.


Le second objet est une toute petite sculpture qui m’a été offerte par un ami très proche, Bruno. Il y a des gens avec lesquels on « fraternalise », selon la formule de Pontalis. Il en est ainsi de Bruno.

Lorsque je décidai de passer de l’autre côté du divan du psychanalyste, Bruno m’offrit cette petite sculpture, représentant une bande de Moebius. L’objet est chargé de sens : où sommes nous lorsque nous parcourons cette bande du doigt : sur une face ou sur l’autre ? Nous ne le voyons pas, nous ne nous voyons pas, mais lorsque nous sommes à un endroit, nous sommes aussi sur l’autre face. Nous croyons qu’il y a un mur impossible à franchir alors qu’il suffit d’avancer pour rencontrer l’autre versant et peut-être le voir.

Cet objet est d’autant plus précieux que Bruno est aveugle et que de son impossible à voir, il nous donne un-possible à voir.


Pour François comme pour Bruno, c’est la pratique artistique qui a permis de passer de l’impossible à l’un-possible, d’une face à l’autre. C’est parfois la psychanalyse – dont Lacan soulignait qu’elle était avant tout une praxis – qui nous en donne l'occasion.


 
 

09 77 85 86 17 - 06 43 17 93 74 

Christophe Gobbé

Cabinet de psychanalyse

84 boulevard François Mitterrand

63000 CLERMONT FERRAND

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