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"Céder n'est pas consentir" (Suite)

  • gobbepsy
  • 6 juin 2023
  • 5 min de lecture

Quelques commentaires au sujet du livre de Clotilde Leguil "Céder n'est pas consentir"

Ce jour-là, j’ai lu.

Dans ce livre [1], il est question de cession et de consentement, de violence, de femmes, de singularité. Une femme, philosophe, psychanalyste, parle de femmes, de jouissance, de renoncement, d’abus. Puis elle parle de féminité, du consentement à « se laisser aller », à se laisser porter, se laisser emmener par un homme. Le droit, pour une femme, de se laisser conduire au-delà même de ce qu’elle aurait pu penser. Le droit d’aimer et désirer physiquement, au-delà de la morale, des règles imposées. Le droit de ne pas « céder sur son désir ». Le droit de jouir du regard ou du corps d’un autre, ou d’une autre. Mais tout cela ne devient possible qu’à une condition : le droit de dire non, le droit de ne pas céder à l’obéissance, à la soumission, surtout lorsqu’il s’agit de céder au nom de l’autorité, de la morale, de la préservation l’ordre, qu’il soit moral, social ou familial. Pire encore, peut-être – et c’est là le hors-d’œuvre de la perversion : au nom de la liberté – liberté des mœurs, liberté de jouir. Tu dois jouir au nom de la liberté !


C’est le livre d’une femme, manifestement. Mais ce n’est pas un livre que pour les femmes.


Le livre propose une éthique du consentement, d’inspiration lacanienne. Dans un célèbre aphorisme, Lacan affirme que le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même [2]et de quelques autres, précisera-t-il. Car s’autoriser est toujours accompagné d’un corollaire, le sentiment d’imposture, d'ex-position, d'inconfort. L’éthique, c’est porter cette autorisation de soi-même, avec ce qu’elle comporte de dialectique, de doute, d’incertitude, et d'effort.


Comment s’autoriser à aimer, dans sa forme la plus charnelle, sans consentir à… ? Comment consentir sans accepter un pas vers l’inconnu ? Mais une fois ce pas franchi, comment s’autoriser, de soi-même, à dire non ?

C’est une histoire de femmes, dira-t-on… Après tout, elles n’ont qu’à dire non ! Si elles ont dit un oui, au départ, de quoi se plaignent-elles ?


Comment faire demi-tour quand on s'est engagé ? Comment dire non quand on a dit un oui ? Cette difficulté du non, après un oui, qui n’en a jamais fait l’expérience ? J’ai fait le premier pas et ne peux plus faire demi-tour ! La célèbre expérience de Milgram [3] en est la plus évidente illustration : on demande à un sujet d’en sanctionner un autre, par une décharge électrique, s’il ne parvient pas à retenir un couple de mots. Progressivement, le voltage augmente, de 15 en 15 volts, jusqu’à 450 volts. Quasiment les deux tiers des sujets vont jusqu’à 450 volts, c’est-à-dire qu’ils envoient des décharges électriques mortelles dans le corps de quelqu’un qu’ils ne connaissent ni d’Eve, ni d’Adam, au seul prétexte que la personne n’est pas capable d’associer « citron » avec « jaune », ou « poisson » avec « grillé ». Si on a accepté le principe, au départ – principe fort stupide, on le concèdera –, comment dire non une fois que l’on s’est engagé ?


Combien voit-on d’amis et d’amies, de proches, de parents, s’engageant dans un oui initial qui leur interdit d’énoncer un non ? Ils ne se l’autorisent plus, si ce n’est dans des formes excessives – colères, crises, passages à l’acte ?... car dire le non est devenu impossible ! Combien s’engagent dans le monde professionnel jusqu’au point où elles ou ils ne parviennent plus à dire non ? Et s’ils le disent, ce non, que risquent-ils d’entendre ? Mais c’est toi qui l’as choisi ! Ils le savent tellement qu’on n’a pas besoin de le leur signifier. Ils se le disent à eux-mêmes, rongés par la culpabilité.


La jouissance, rappelle Lacan, s’origine dans le droit : c’est l’usufruit. On peut en user mais sans en abuser. En d’autres termes, la jouissance n’est jamais totale, ou alors elle glisse vers une illusion – jouissez sans entrave ! – avec une montre plus grosse, une voiture plus grosse, une maison plus grosse, etc. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce pousse-au-jouir fut l’un des slogans d’une révolte anticapitaliste ! C’est peut-être cela la perversion du Nouvel esprit du capitalisme [4]. De détourner la critique pour en faire un outil de justification. Et Lacan de rappeler : « Le droit n’est pas le devoir. Rien ne force personne à jouir, sauf le surmoi. Le surmoi, c’est l’impératif de jouissance – Jouis ! » [5]


Qu’il s’agisse d’une morale rigoriste, ascétique, ou hédoniste, dès qu’elle produit un discours sur le devoir de jouissance – jouissance de l’abstinence, de l’excès ou de la mesure –, elle sort le sujet de son droit le jouir, le ne pas jouir, le dire oui, puis non, oui mais, non mais


« Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres : le verbe “aimer”… le verbe “rêver” … On peut toujours essayer, bien sûr.

Allez-y : “Aime-moi !” “Rêve !” “Lis !” “Lis ! Mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire !”

– Monte dans ta chambre et lis !

Résultat ? Néant. ».


C’est ainsi que Daniel Pennac commençait son livre Comme un roman [6], qu’on aurait pu appeler « Pousse au non-lire »… Car qu’y a-t-il de plus tue-l’amour que cette injonction à la lecture – ou à la jouissance ? Pennac explique alors combien le plaisir de lire est lié au droit de ne pas lire, de ne pas finir, de ne pas comprendre, de re-lire, ou de commencer par la fin, pour jouir pleinement d’un livre, de s’enfermer du matin jusqu’au soir avec l’intention d’en découdre avec ce livre, ou le droit d’en lire d’autres au goutte à goutte, d’y passer un mois ou deux, de les abandonner et d’y revenir.


Le livre de Clotilde Leguil n’est pas un essai rétrograde ou conservateur. Il suggère, au contraire, la possibilité d’une autre jouissance, une jouissance singulière, qui consent mais ne cède pas, qui offre un oui tout en s’autorisant un non. Il propose un regard sur une jouissance féminine, tout aussi séduisante que bouleversante, qui n’est peut-être pas le propre des femmes.




[1] Leguil (C.), Céder n’est pas consentir : Une approche clinique et politique du consentement, Paris, PUF, 2021.

[2] Lacan (J.), « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, coll. « Le champ freudien », 2001, p. 243.

[3] Milgram (S.), La soumission à l’autorité, Paris, Calman-Lévy, 1974. On peut voir une reproduction de cette expérience dans le film d’Henri Verneuil, I comme Icare (1979). Le film a justement été pensé autour de cette expérience et la scène est disponible en ligne sur les grandes plateformes de diffusion.

[4] Boltanski (L.), Chiapello (È.), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011.

[5] Lacan (J.), Séminaire XX : Encore. [1972-1973), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2016, p. 11.

[6] Pennac (D.), Comme un roman, Paris, Gallimard, 1992.

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